La violence constitue un fléau universel qui détruit le tissu social et menace la vie, la santé et la prospérité de tous. Elle concerne autant les pays pauvres que les pays riches et intervient particulièrement lors de périodes de crises économiques. Les images et les récits de violences sont omniprésents dans les médias ; la violence est dans la rue, chez nous, à l’école, au travail et ailleurs encore. Le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2013 présente une analyse mondiale des données scientifiques sur la prévalence des violences à l’encontre des femmes, concernant notamment les violences conjugales et les violences sexuelles. Selon ce rapport, 35 % des femmes dans le monde ont subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire intime, ou des violences sexuelles exercées par d’autres que leur partenaire. Les femmes et les filles sont en plus grand danger de subir des violences sexuelles ; toutes les études montrent que près de 50%des violences sexuelles sont commises sur des filles de moins de 16 ans, 60 % sur des mineures de 18 ans.
D’après une étude de la Banque mondiale, 60 % des femmes sénégalaises ont avoué avoir été victimes de violences conjugales. Pour la même étude, en 2009, le comité de lutte contre les violences faites aux femmes (CLVF) a reçu, à travers ses antennes régionales, 463 cas de violences, soit une moyenne de 1,3 victime par jour. Les 65 % se sont déroulés dans l’espace conjugal. Au cours du second semestre de 2009, une femme a été tuée tous les mois et trois cas de viol ont été traités chaque jour au tribunal de Dakar. En 2011, le CLVF a de nouveau noté, au niveau de ses antennes régionales, 62 cas de violences physiques. Malgré la sous-dénonciation, ces chiffres démontrent la récurrence de ces violences au Sénégal. Le chômage, la précarité, l’alcoolisme de l’agresseur, des antécédents personnels de violences ou de maltraitance dans l’enfance, une prise de toxiques sont autant de facteurs non spécifiques qui peuvent induire des violences. Une combinaison de facteurs individuels, relationnels, communautaires et sociétaux augmente le risque d’être victime ou agresseur dans un contexte de violence. Certains facteurs de risque sont les mêmes pour les victimes et les agresseurs, notamment le jeune âge, le faible niveau de scolarité, le faible niveau socioéconomique.
Perception de la grossesse après une violence sexuelle :
Par rapport aux agressions sexuelles, le sentiment qui domine est celui de perte d’une chose précieuse qui est l’hymen. La perception de cette violence sexuelle est dépendante des conséquences de cette dernière, telle que la grossesse qui en résulte. La grossesse est perçue comme étant un élément de l’agression qui est là pour le leur rappeler. Une responsable d’une ONG de lutte contre les violences faites aux femmes témoignait que « [MD, 15 ans, victime d’inceste par son père et enceinte] a décidé de faire un abandon volontaire de l’enfant car pour elle c’est impossible de le garder, vu sa situation ; nous continuons à la soutenir moralement, financièrement et même sur le plan judiciaire… ».
Dénonciation de la violence :
Les motifs de dénonciation de la violence sont liés au désir de soustraire les victimes à ce milieu de violence. Pour la plus grande partie des victimes, la dénonciation est impulsée par le soutien d’une ONG ou des acteurs communautaires comme les femmes leaders du quartier ou du village appelées « Badjenou gox ».
Comportement des parents et de l’entourage :
La plupart des victimes disent ne pas être soutenues par leurs parents etleur entourage. On note un soutien notable, selon les victimes, des « Badjenou gox » et autres leaders de la communauté comme les chefs de quartiers. L’association des femmes juristes est citée comme étant un soutien majeur dans le processus juridique.
Difficultés financières de la prise en charge médicale des victimes :
Le certificat médical est souvent l’élément le plus important aux yeux de la victime qui le privilégie souvent au détriment des examens complémentaires. D’une part, ce certificat lui permet d’avoir une preuve judiciaire de son agression. Les gynécologues affirment que : « … les victimes ont plus tendance à se préoccuper de l’obtention du certificat médical que d’honorer les soins et les examens complémentaires… » ; « …Les patientes sont reçues tardivement, de ce fait on note une discordance entre les données physiques et l’interrogatoire… ». D’autre part, il y a les difficultés au niveau des structures de santé, notamment sur le plateau technique insuffisant à la prise en charge des victimes. Selon un des médecins urgentistes : « … les difficultés sont surmontables dans le cas des coups et blessures sans gravité, on peut les prendre en charge dans notre structure, mais quand cela nécessite des examens complémentaires comme une radio, on est obligé de les référer ailleurs pour une meilleure prise en charge… ».
Difficultés de prise en charge psychologique des victimes :
La prise en charge psychologique des victimes est insuffisante selon les interviewés. Les prestataires signalent leur besoin d’appui à ce niveau, eux-mêmes se jugeant incompétents pour la prise en charge psychologique des victimes. Ils jugent cet aspect important, surtout lorsque l’agresseur est un membre de la famille et que l’on a un cas d’inceste. Un des médecins dit que : «..il n’existe même pas de psychologue dans nos hôpitaux, la majeure partie reste à Dakar alors qu’il est difficile de faire déplacer ces victimes ; parfois elles n’ont même pas les moyens financiers pour honorer le déplacement en vue d’une assistance psychologique qui reste cruciale dans leur prise en charge et souvent négligée… ».
Méconnaissance du droit par les victimes :
La méconnaissance du droit par les victimes est également un motif de sous-dénonciation. Les victimes ne sont ni instruites, ni informées de leurs droits. Il y a une méconnaissance de la justice qui est partagée par la grande majorité de la population sénégalaise, selon les procureurs. Les procédures de justice longues décourageraient certaines populations de s’en saisir. Selon les procureurs, « … La population d’une manière générale ne connaît pas ses droits et méconnaît aussi le rôle de l’autorité judiciaire. Il y a comme une sorte de peur de tout ce qui a trait à la justice… » ; « … Le problème de l’accès à la justice à certaines couches sociales et l’absence d’informations suffisantes sur leurs droits… » ; « Les victimes ont honte ; parfois elles n’osent pas se montrer en public, et il y a les solutions à l’amiable… ». Pour les règlements, ils se faisaient à l’amiable avec, au premier plan, le dédommagement financier.
Les violences faites aux femmes et aux filles restent importantes au sein de la société sénégalaise. Mais le principal problème réside dans l’absence de dénonciation des préjudices subis par ces victimes. L’atrocité des violences, avec des répercussions négatives sur les plans physique, mental et social des victimes, doit inciter les autorités à inscrire des actions de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles dans les stratégies des politiques publiques de santé. Cela passe notamment par un renforcement des capacités humaines et techniques des milieux sanitaire, judiciaire et communautaire, couplé à l’intensification des actions de sensibilisation sur les méfaits des violences. Ces stratégies doivent cibler surtout les filles et les garçons ainsi que leurs parents en vue de repositionner la bonne place qu’occupent les filles et les femmes dans la communauté par la reconnaissance de leurs droits.
Perceptions des populations sur les violences faites aux femmes au Sénégal People’s perceptions of violence against women in Senegal Mamadou Makhtar Mbacké Leye, Ndeye Marème Sougou , Adama Faye, Ibrahima Seck, Anta Tal Dia, https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2019-4-page-581.htm